Je l'appelle Joël mais je connais pas son prénom, je ne lui ai pas demandé.
Beau garçon, peau noire, costaud, souriant.
Ce matin, samedi, je me retouve à la ferme Tibou. Anciennement une ferme exploitant de la canne à sucre et des bovins, depuis des années recyclée dans l'accueil du public, moyennant finances sonnantes et trébuchantes. Les têtes blondes, noires, rousses, chabines etc... peuvent rouler, sauter, grimper, ploufer, tobogger, pendant que les parents savourent un moment de farniente. C'était mon cas, et pendant que Swan travaillait sa double vrille au trampoline, je bouquinais, agréablement vautrée sur un autre trampoline.
Disgression littéraire. Je lisais un livre pour enfants, absolument extra : Les Willowghby, de Lois Lowry.
"Il était une fois une famille appelée Willowghby : une famille vieux jeux, avec quatre enfants. [...]
Barnaby et Barnaby étaient des jumeaux de dix ans. Personne ne pouvait les différencier et, comme en plus ils avaient le même prénom, c'était très compliqué. [...]
Leur mère, qui était indolente et de mauvaise humeur, n'allait pas travailler. [...] Elle avait lu un livre un jour, mais elle l'avait trouvé déplaisant parce qu'il contenait des adjectifs. [...]
Un jour, ils (les enfants) trouvèrent un bébé sur le pas de leur porte. [...] - On pourrait l'emporter à la déchetterie, proposa Barnaby B. [...] C'est lourd les bébés ? [...] Leur mère, les sourcils froncés, ouvrit la porte du fond et sortit de la cuisine. - Qu'est ce que c'est que ce bruit ? demanda-t-elle. J'essaye de me rappeler les ingrédients du hachis parmentier et je ne m'entends pas réfléchir. - Oh, quelqu'un a laissé un ignoble bébé sur le perron, lui dit Tim. [...]
- Emportez-le ailleurs, les enfants, dit leur mère en retournant à la cuisine. Débarrassez-vous-en. J'ai un hachis parmentier à faire."
Et tout à l'avenant...
J'arrivais au passage où les jumeaux se plaignent que leur mère ne leur a tricoté qu'un pull pour deux, quand j'aperçus dans mon champ de vision un jeune homme se déplaçant à quatre pattes en poussant des cris assez perçants. La surprise passée, je compris que c'était un garçon handicapé, accompagné par un autre jeune homme sans doute chargé de l'emmener se distraire. Il semblait bien apprécier le trampoline, et je poursuivis ma lecture.
Quelques minutes plus tard, le garçon se précipita près de moi, et poursuivis ses jeux son mon trampoline. Son accompagnateur s'approcha, et m'expliqua en souriant que le jeune (un bébé de 9 mois dans un corps d'adulte) aimait bien qu'on lui lise des histoires... Je n'ai évidemment pas résisté à la tentation d'engager plus loin la conversation. Joël a commencé à travailler comme techicien agricole, mais a bifurqué vers le métier d'éducateur. Il s'intéresse surtout aux autistes, et aux handicapés lourds. M'explique que ce jeune de 20 ans est tombé de la table d'accouchement le jour de sa naissance. Qu'il s'en occupe deux jours par semaine, pour lui apprendre des petites choses (patienter à la caisse au supermarché, se laver les dents, bien se tenir au restaurant...) et l'emmener ballader. Il est passionné par ce boulot, qui consiste surtout à comprendre les autres, et à leur donner un coup de main pour vivre mieux.
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